POURQUOI CETTE PASSION POUR LE LYNX ?
Je suis fasciné par le monde du vivant en général. Encore maintenant, je peux passer un temps fou devant une fourmilière, une harde de chevreuils ou observer des grands prédateurs dans un pays exotique. J’ai eu la chance de parcourir la plupart des parcs nationaux du monde entier et de photographier les grands félins. Quand je suis arrivé en Europe, ma première préoccupation a été d’observer ce félin qui vit dans les montagnes. Cela ne faisait pas sens pour moi de faire le tour de la planète en quête d’images de félin alors qu’à moins de cinq minutes de là où j’habite, un splendide prédateur n’avait presque jamais été filmé. De plus, le lynx incarne une symbolique forte dans notre société très anthropisée. Il représente pour moi une sorte de « success story ». Dans le Jura, c’est un grand prédateur qui a été réintroduit par l’humain pour essayer de limiter les dégâts des herbivores sur la forêt. Et ce plan a marché. Il représente bien la solution « douce » d’une cohabitation entre notre monde et le monde dit « sauvage ».
N’AVEZ-VOUS PAS LA MÊME FASCINATION POUR D’AUTRES ANIMAUX SAUVAGES, LES RENARDS, PAR EXEMPLE, QUE VOUS AVEZ BEAUCOUP PHOTOGRAPHIÉS ?
Je n’ai pas de préférence parmi les animaux sauvages, ils me fascinent tous mais j’ai toujours aimé montrer au public une nature de proximité. Mon premier livre « Safari Urbain » révélait la nature dans nos villes avec une biodiversité incroyable dans les grandes cités d’Europe. C’est en effet à ce moment-là que j’ai beaucoup travaillé sur les renards en ville. Travailler sur les animaux prend plus ou moins de temps car certains sont plus difficiles à filmer que d’autres. Vivre au cœur du royaume des lynx m’a permis de le chercher presque quotidiennement. Il m’aura fallu plus de dix années de travail pour mes photos et plus d’un an pour le film et c’est vrai que j’ai développé une relation assez singulière avec ce félin.
POURQUOI AVOIR CHOISI LE CINÉMA APRÈS AVOIR DÉJÀ RÉALISÉ UN LIVRE DE PHOTOS ?
C’est un autre défi ! Avec le cinéma, je peux raconter des histoires que j’avais du mal à raconter avec un appareil photo. Un tournage signifie davantage de complications mais en conservant mon regard de photographe, j’ai l’impression que je peux m’exprimer plus amplement. Le monde de l’image évolue vite, les réseaux sociaux nous montrent des milliers de photos chaque jour. Faire un film demande de prendre son temps et c’est aussi cela qui me séduit.
QUELLES ONT ÉTÉ LES CONTRAINTES DE CE TOURNAGE ?
La contrainte majeure de ce tournage, c’était de trouver le personnage principal ! Le lynx boréal est normalement largement nocturne, et à ma connaissance, il n’a jamais été filmé dans son milieu naturel. Il existe des tas de films sur les lions, guépards, jaguars et autres grands félins mais pas un seul sur le lynx. L’animal est d’une discrétion incroyable. Pour mes photographies, il m’est arrivé de ne pas le voir pendant près de huit mois alors que je le cherchais quotidiennement. Mais au fil des années, j’ai compris petit à petit le comportement de certains individus ; j’ai opté pour du matériel léger ce qui facilite grandement les déplacements en montagne quand on doit suivre un animal dans la neige pendant six heures.
EN QUOI AVEZ VOUS DÛ ADAPTER VOS TECHNIQUES DE PHOTOGRAPHE ANIMALIER POUR PASSER À LA CAMÉRA ?
Devoir pister, rechercher des indices, se cacher et rester des heures voire des jours dans un affût est un travail qui ne diffère pas vraiment entre la photographie et le film. En revanche, s’il ne suffit que de quelques secondes et de bons réflexes pour faire une belle photo, construire un plan cinématographique demande de l’anticipation, de la fluidité et du sang froid. Même physiquement, je ne me déplace pas tout à fait de la même manière. C’est toute une approche qui me convient presque mieux. On fait rarement une belle image « à la volée » en cinéma mais quand on réussit à « construire » un plan, l’émotion est vraiment présente.
QUELS ÉTAIENT VOS OBJECTIFS EN SCÉNARISANT CETTE HISTOIRE ?
L’histoire de ce film a vraiment existé. Toutes les scènes, des plus attendrissantes aux plus dramatiques, je les ai vraiment vécues mais réparties sur une chronologie différente. Je voulais donc regrouper mes années d’expérience et d’anecdotes pour raconter la vie d’un seul lynx. L’histoire est donc scénarisée mais sur un fond véridique. Je ne voulais pas inventer une histoire qui ne soit pas crédible, ni tomber dans l’anthropomorphisme. Je n’ai jamais voulu donner de noms aux lynx que je piste, le « sauvage » ne mérite pas cela et pourtant en suivant les mêmes individus, je voulais que le public se rende compte que chaque animal a sa propre personnalité. C’est ce que j’ai découvert tout au long de ces années.
POURQUOI AVOIR PRÉCISÉ QUE LE FILM A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC DES ANIMAUX TOTALEMENT SAUVAGES DANS LEUR MILIEU NATUREL ?
La plupart des animaux dans les films sont des animaux dressés. Ils sont nés en captivité et ne jouiront jamais de la liberté des animaux sauvages. Le grand public ne le sait pas forcément et pense que les images tournées l’ont été en pleine nature, alors qu’en réalité, il y a une équipe de cinquante personnes qui est derrière la caméra. Les images de mon film ne sont pas au ralenti, il n’y a pas de lynx qui saute par dessus ma caméra ou qui vient me renifler le pantalon. J’espère que le public ressentira que ces images sont vraiment authentiques et qu’il aura fallu des années avant d’arriver à ce résultat.
QU’AIMERIEZ-VOUS QUE LES SPECTATEURS RETIENNENT DE VOTRE FILM ?
J’aimerais surtout renforcer cette prise de conscience que la nature est une chaîne complexe de multiples maillons et que si l’un d’eux disparaît, la nature s’en trouve déséquilibrée. Le lynx est un maillon indispensable dans notre environnement. C’est un grand prédateur et comme tout prédateur, il est le seul à pouvoir « contenir » la population de certains ruminants comme les chevreuils et les chamois. Lorsqu’il n’y a pas de prédateur dans une forêt, les chevreuils et les chamois peuvent en effet créer de gros dégâts sur les jeunes arbres et jeunes pousses. Cela freine considérablement le rajeunissement forestier. Les ingénieurs forestiers qui travaillent dans ma région me disent que le lynx est la « clef de voute » de la forêt.