« L’idée d’associer un voyage immobile à celui de Slocum nous est venue très tôt…
Il ne s’agissait pas seulement de donner au film de grands espaces maritimes face au huis clos du jardin, mais de bien donner sa place au bateau en construction. De révéler son véritable rôle. Il ne navigue pas, donc il doit avoir d’autres choses à nous dire…
Et Anik Le Ray ne s’est pas privée de poser les questions que je ne m’étais pas vraiment posées : Pourquoi ton père a-t-il construit un bateau ?… Et pourquoi ne l’a-t-il jamais terminé ?…
Le malentendu affectif, assez courant entre un fils et son père, répond je crois à cette question. Le bateau étant sans aucun doute pour Pierre une arche nécessaire au trio familial. Le moment révélateur à mes yeux se situe quand François découvre à la fois la lettre d’un père biologique qui le réclame, et le plan du bateau… Il adore son père Pierre et ne tient pas à s’embarrasser d’un deuxième père. Comme beaucoup d’enfants, il trouve que la vie est assez compliquée comme ça… Le bateau lui ouvre des horizons plus extraordinaires. Cela va remplir sa vie pendant cinq ans. Le temps de passer de l’enfance à l’adolescence, avec sa conclusion heureuse : celle de passer à autre chose…
Mais le regard d’un gamin sur son père n’est qu’une partie du film. Le propos est plus vaste : celui de bien des rêves que l’on met en chantier et qu’on abandonne un jour… peut-être parce qu’ils ont été vraiment vécus. Ce peut-être le chantier d’une maison qui ne finit pas, d’un livre qu’on a commencé à écrire, etc… (un film sur lequel on travaille depuis des années ?…) !
C’est le chemin qui compte, dit-on, et non l’arrivée au sommet… Une vieille histoire !… C’est donc un véritable film d’aventures.
Les rapports entre les personnages, avec peu de dialogues, une tendresse à fleur de peau, sont traités par petites touches.
L’animation semble mal lotie sur ce plan par rapport à la prise de vue réelle. On lui demande par exemple de choisir clairement son camp, le film pour enfant ou le film pour adulte… Je m’y suis toujours refusé, persuadé qu’on peut s’y prendre autrement. L’animation permet maintenant de faire les choses en demie teinte, sans utiliser un style graphique trop particulier, en se servant d’une mise en scène et d’un montage purement cinématographiques, en donnant beaucoup de place au choix des voix et à la musique…
Le film a été développé en équipe. Une équipe que je connais bien, comme Anik Le Ray avec qui j’ai écrit et réalisé plusieurs films… Pascal Le Pennec, auteur de la musique du Tableau et de Louise en hiver… et le studio JPL films de Rennes.
Sur le plan graphique, le besoin de cohérence m’a incité à créer moi-même tous les personnages, les plus importants comme les figurants, en m’inspirant pour ces derniers des photographes de l’époque comme Doisneau, ou des cinéastes comme Duvivier ou Carné. J’ai dessiné également la plupart des décors clés et tous les accessoires. Le film a ensuite bénéficié du talent et de l’engagement artistique du Studio 352, avec notamment Denis Lambert et Pascal Gérard.
La construction du bateau, comme les parties maritimes ont donné lieu à bien des études. Ces dernières, grâce au journal de bord de Joshua Slocum, grâce surtout à la collaboration d’Yvon Le Corre, le plus formidable dessinateur de bateaux que j’ai connu. Les péripéties de ce premier tour du monde en solitaire sont authentiques.
Que ce soit avec les pirates ou au passage du Cap Horn.
Avec l’équipe de JPL films et de Mélusine, nous avons poursuivi le travail effectué dans Louise en hiver, à savoir conserver le trait du crayon sur le papier, ce qui permet d’enlever à l’animation 3D son aspect artificiel… privilégiant l’ombre et la lumière à la couleur.
Pour la première fois, j’ai pu travailler sur l’écriture définitive de la musique, donc monter l’image et le texte off avec plus de précisions.
Une fois encore, la musique est très présente, elle n’est pas là pour souligner les aventures mais pour rendre compte du moral de l’équipage… Elle a bénéficié pour les enregistrements de l’engagement de l’orchestre symphonique de Bretagne.
Le narrateur, François adolescent, nous raconte ce qu’il a vécu quelques années plus tôt, avec la distance nécessaire.
Je ne garde de cette période de ma vie aucune nostalgie. Ce fut un temps de liberté heureuse.
Que le bateau ne se termine pas n’était pas grave, et même souhaitable pour chacun des trois personnages.
Ce fut une véritable aventure. L’avoir vécue de près, a développé en moi une propension au rêve qui m’a servi toute ma vie. Le film n’est donc pas nostalgique…»