A l’origine de La Vie de château, il y a un appel à projets lancé, en juin 2016, par France Télévisions, dans le cadre de ses programmes “jeune public”, dont le sujet était “le récit initiatique d’une héroïne contemporaine”. Pourquoi avez-vous choisi d’y répondre ?
Clémence Madeleine-Perdrillat : J’avais le désir depuis longtemps d’une histoire : celle d’une orpheline faisant son deuil avec un oncle inconnu et redouté. L’appel à projets est tombé à pic, l’opportunité de proposer un scénario original rejoignait mon souhait de travailler avec Nathaniel, un « dessinateur-ami » incroyable que je connais depuis dix ans. Et puis j’aime travailler le récit initiatique et la chronique qui se prêtent très bien à l’enfance.
Comment est né le personnage de Violette et cette initiation
par le deuil ?
Ce personnage était dans mon esprit depuis longtemps : une enfant têtue, fugueuse, avec un monde imaginaire riche et surtout très décidée à honorer la mémoire de ses parents qui — selon ce qu’elle a compris — détestaient cet oncle. Bien sûr, elle va réaliser que les relations des adultes ne sont pas si simples… Et le thème du deuil… et bien mes films préférés trouvent leur base dans ce thème : dans Mon voisin Totoro, les deux soeurs attendent que leur mère sorte de l’hôpital et elles expérimentent la peur de la perte ; dans La Nuit du chasseur, deux enfants fuient le meurtrier de leur mère… Je crois profondément que les enfants ont besoin de récits qui évoquent cette peur de la perte, le chagrin, mais aussi l’espoir.
Comment sont nés graphiquement les personnages, les lieux ?
Nathaniel H’Limi : Graphiquement, la naissance des personnages s’est faite de manière très instinctive. Au départ, Clémence et moi avons beaucoup discuté, je faisais des croquis en même temps que nous parlions, les mots de Clémence orientant mes recherches graphiques. Même si mon dessin n’est pas réaliste, je regarde beaucoup le réel pour dessiner, je me suis donc basé sur des photos de Clémence enfant pour dessiner Violette, de Malcolm (le filleul de Clémence) pour dessiner Malcolm etc… Puis j’ai ajouté des traits graphiques pour caractériser les personnages, par exemple, les boules aux pointes des cheveux de Violette.
Pour Régis, c’est un peu différent, je savais que si l’on gagnait l’appel à projets, je devrais le dessiner pendant deux à trois ans, je devais donc m’assurer d’avoir un modèle sous la main en permanence. Je me suis donc imaginé, moi, en ours bourru et massif.
Pour les lieux, le processus a été plus long, mais tout aussi instinctif. J’ai rapidement décidé de travailler à la main avec de l’encre et du papier, j’avais besoin de transmettre la fragilité et la sensibilité du récit à travers ma ligne et ses imperfections.
L’histoire se passe essentiellement à Paris et à Versailles, je n’avais jamais dessiné de décor avant et entreprendre ce travail était aussi excitant qu’effrayant. J’ai fait un gigantesque travail de recherche iconographique, je suis allé à Versailles plusieurs fois, j’ai écumé les livres à la bibliothèque et j’ai littéralement “aspiré“ le compte Instagram du château de Versailles.
Tout est très documenté, par exemple, le parcours que fait Violette lorsqu’elle fugue existe. J’avais besoin de connaître la morphologie des espaces, de m’imprégner des perspectives et des textures pour dessiner. Une fois le style trouvé, il a fallu travailler dur, être patient et dessiner un par un les trois cents décors qui donnent leur empreinte visuelle à l’histoire.
Une scénariste, un graphiste, deux réalisateurs… Comment se déroule concrètement, en animation, le travail à deux auteurs ? Quelle est la part de chacun ?
Clémence Madeleine-Perdrillat : Nous avons réparti instinctivement le travail selon nos forces et nos expériences passées. J’ai davantage géré la partie scénario, comédiens, son et Nathaniel la partie graphique car en plus de dessiner tous les décors il a supervisé l’animation et le compositing, tandis que je faisais des allers-retours à Bourg-les-Valence où avait lieu l’animation à la Cartoucherie. J’ai un souvenir très fort de l’été 2018 où nous avons fait le découpage du film tous les deux, puis le story-board avec Jean-Christophe Roger, c’était de la pure mise en scène et nous étions totalement en duo.
Le fait de se connaître depuis dix ans a été un grand atout car nous avons toujours été très clairs l’un envers l’autre, il n’y a pas eu de tension, simplement un travail acharné pour finir le film à temps pour le festival d’Annecy. Je crois sincèrement que nous n’y serions pas arrivés si nous n’avions pas été deux.
À la fin de la production, Nathaniel faisait le compositing à Angoulême, pendant que je m’occupais du montage son à Paris ; puis nous nous sommes rejoints pour le mixage, c’était très dense et palpitant.